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Vampire le Requiem

Rejoindre le monde de la nuit

L’histoire de Khet-Raneh

vendredi 16 septembre 2011, par kiraen

L’Étreinte de Khet-Raneh.

Tanis, Basse Égypte. Au cœur du temple d’Amon.

Les vapeurs d’encens flottent dans la chambre mortuaire où le vieil homme travaille sur le corps d’une concubine royale. La beauté de la fille n’a pas encore été fanée par les ans, mais la blessure béante à son flanc témoigne des appétits violents des nobles. D’après les gardes qui l’ont amenée en toute discrétion, elle a été l’objet d’une querelle entre deux capitaines. Leur supérieur lui aurait ensuite percé le flanc de sa lame pour faire cesser le bruit. Elle est nue et la lame tremble légèrement entre les mains du vieil embaumeur. Il n’a cependant qu’à agrandir la blessure pour pratiquer l’incision abdominale nécessaire à l’extraction des viscères. Il travaille vite, avec de petits gestes précis hérités d’une longue pratique. Ensuite il la recoud, la préparant pour le bain de natron. C’est dans une fosse creusée dans la pierre qu’elle séjournera pendant de nombreux jours, couverte du sel de la terre.

Quand elle est arrivée la fille portait encore ses bijoux, la moitié rejoint l’escarcelle du vieil homme, ce n’est que justice après tout, son travail lui offre un corps parfait dans l’au-delà. C’est donc un peu plus riche qu’il quitte le temple la nuit tombée, saluant les gardes, s’inclinant devant les prêtres et les nobles. Il marche doucement à travers les rues d’une ville maintes fois parcourues. Tanis est puante, ses rues grouillent de mendiants et de journaliers attendant qu’un riche notable commande la construction d’un nouveau tombeau. Le vieil homme le connait bien ce bas peuple. Il a l’habitude de l’employer à ses basses besognes, et la racaille connait Khet Raneh l’embaumeur, celui qu’il faut aller voir pour obtenir un corps pour l’au-delà. Celui qui vous préparera comme un roi même si vous n’êtes qu’un mendiant, à condition de le payer suffisamment de votre vivant. Il connaitrait même les incantations des prêtres le vieux.

La lune s’est levée lorsqu’il parvient à l’auberge où il prend ses repas. Il s’installe comme tous les soirs dans un coin de l’établissement, à l’écart des travailleurs bruyants qui profitent de la ration de bière qu’ils ont gagné dans la journée. Comme tous les soirs il mange sa soupe et son pain, boit peu et observe. Comme tous les soirs un homme fini par arriver, celui-là se nomme Hotep, c’est un marchand qui conduit des caravanes vers la Haute Égypte.

« Bonsoir vieil homme, puisses-ton âme s’extraire des ténèbres et voir le char de Râ parcourir le ciel encore une fois, as-tu quelque chose pour moi ce soir ? »

« Salut à toi aussi Hotep le marchand, ne parle pas si fort alors qu’on pourrait nous entendre. Et oui j’ai quelque chose pour toi. »

Le vieil homme sort de sa manche un collier d’or et de lapis dérobé à la courtisane. Il est pris d’une vilaine quinte de toux qu’il étouffe dans un chiffon. Lorsqu’il reprend son souffle, le chiffon est tâché d’un sang noir et épais. Son interlocuteur éloigne alors le mauvais sort d’un geste rapide et s’empresse de saisir le collier. Après l’avoir examiné il demande :

« Oui, c’est une belle pièce. Un peu trop caractéristique pour être vendue ici, mais je devrais en tirer un bon prix à Thèbes. Les prêtres d’Amon aiment offrir ce genre de choses aux prostituées sacrées. Qu’en veux-tu cette fois ? J’ai une belle cargaison de pierre destinée au tombeau du cousin du grand prêtre. Un grès noir d’une douceur incomparable. Je peux t’en mettre quelques-unes de côté si tu le désires. »

« Du grès noir ? Me prends-tu pour un de ces stupides aristocrates Homep ? Ma demeure n’a pas besoin de grès noir. Si tu veux le collier j’ai besoin de pierres plus précieuses que ça. Il me faut de l’améthyste d’Assouan. Ou des émeraudes si tu en as, les dernières que tu m’as vendues étaient d’une qualité satisfaisante ».

« Et pourquoi pas ma fille en esclavage ? Tu veux ma mort le vieux ? Des émeraudes, rien que ça ? »

« Je me contenterai de l’améthyste, Hotep. Je suis un homme raisonnable »

« Là, améthyste d’Assouan tu dis ? Tu as de la chance vieux grippe-sou j’en ai justement reçu une cargaison pas plus tard qu’hier. Mais tu étais déjà au courant n’est-ce pas ? il n’y a pas grand-chose qui t’échappe en ville… »

« Ne fais donc pas tant de manière, quand tu auras mon âge toi aussi tu entendras des choses Hotep. Prend le collier et apportes moi l’améthyste d’ici la fin de cette soirée. »

« Fort bien Khet-Raneh, topons là et buvons pour sceller cet accord »

Les deux hommes trinquent alors et le marchand s’en va. Laissant le vieux à ses calculs et ses intrigues.

Plus tard, un enfant apportera un petit coffret au vieil homme. Celui-ci l’empochera sans un mot et quittera l’auberge pour rejoindre sa modeste demeure où il tentera en vain de trouver le sommeil. Ce n’est qu’à peine deux heures avant l’aube qu’il le trouvera. Il restera endormi jusqu’aux petites heures de la matinée. Si les dieux sont généreux on lui apportera une noble dame, dont la parure pour lui payer de quoi achever son masque mortuaire le lendemain.

Le lendemain soir

Sur la route du tombeau, le vieux se réjouit déjà de déposer le masque mortuaire qu’il a enfin fait sertir dans une des caches. Le désert est calme ce soir, la lune et les étoiles éclairent le chemin devant son âne.

La nuit est bien avancée lorsqu’il parvient à l’entrée de la vallée des morts, les stèles menaçant les pilleurs de tombes des pires malédictions sont bien en place et rien ne semble avoir bougé depuis sa dernière visite. Sa tombe est située à l’écart, l’entrée dissimulée dans une anfractuosité du rocher. A l’approche de sa destination le vieil homme frissonne et fronce le nez. Une brise nocturne lui apporter une odeur pestilentielle venue du tombeau. Une bête a dû entrer y mourir.

C’est avec précaution que le vieux allume sa lampe à huile et pénètre dans sa dernière demeure, évitant les pièges qui la protègent. Une fois dans la salle principale, l’odeur est si forte que des larmes lui échappent. Quelque chose s’est construit un nid de branches et a saccagé l’intérieur, éparpillant du papyrus partout. Le vieux est outré. On a profané sa sépulture. Il décide alors de prendre les choses en main en brûlant le nid et tant pis pour les peintures, elles pourront être refaites. De toute façon son âge et sa forme ne lui permettent pas de porter le fatras à l’extérieur.

Quand il jette son brandon sur le tas d’ordure, une épaisse fumée noire le pousse vers l’extérieur, et c’est en crachant ses poumons qu’il attend que la fumée se dissipe. A l’intérieur tout a brûlé, y compris une partie de son précieux mobilier. L’aube est prête à se lever, alors il décide de se cacher pour attendre le retour du profanateur. Et d’ailleurs celui-ci ne se fait pas attendre, accompagné de la même odeur pestilentielle que celle que dégageait le nid.

Alors que les premiers rayons du soleil illuminent le seuil du tombeau, le vieux s’aventure de nouveau à l’intérieur, persuadé de surprendre un lépreux importun. Mais tombant sur un cadavre datant de plusieurs jours, il s’interroge, il jurerait n’avoir entendu personne sortir. Il décide donc de rentrer en ville, pour un peu de repos bien mérité et surtout pour se procurer de quoi faire brûler le corps.

Après avoir marché toute la journée, son âne ayant fui à l’arrivée de l’intrus, il s’écroule sur sa couche et n’émerge que le lendemain midi, après quoi il prépare son expédition en emportant de l’huile et du petit bois.

De nouveau la nuit est avancée quand il parvient à la tombe. L’odeur est toujours là, mais aucune lumière ne transparait. Le vieil homme pénètre dans son domaine et manque de peu de tomber dans un de ses propres pièges. Quelqu’un a activé les défenses de la tombe en son absence. Il fait cependant confiance à sa connaissance des lieux pour lui permettre de pénétrer dans le sanctuaire.

Hélas, un pas de trop active une trappe garnie de piques de bois. Sans un cri le vieux tombe dans la fosse et s’empale. La douleur est intense, si intense qu’il ne tarde pas à perdre conscience, sa dernière pensée reconnaissante de périr au moins dans le lieu qu’il a préparé pour son repos éternel.

Plus tard, il se sent tiré sans ménagement de cette sépulture improvisée. Une force terrible l’arrache aux griffes jalouses des pieux. Il est jeté violemment au sol et percute le piédestal de son sarcophage. Puis il distingue un monstre, le cadavre qu’il comptait brûler le contemple et s’agenouillant devant lui commence à boire le sang de ses plaies. Alors ses sens l’abandonnent et une vague de plaisir se mêle à la douleur. Dans son délire il voit la bête dévorer son essence de vie, il est persuadé qu’il est jugé, que ses méfaits sont découverts et qu’il a été jugé indigne par Maat, la justice. Son cœur est plus lourd que la proverbiale plume et le monstre Amout dévore son âme.

Mais le monstre ne laisse pas son âme sombrer, elle partage avec lui son sang noir et nauséabond. C’est alors que la douleur s’intensifie, son corps se réarrange, ses organes internes se momifient d’eux même. Pendant un temps infini le vieux se tord sur le sol. Son sort lui parait pire que la mort. L’au-delà qu’il a si péniblement, si patiemment préparé le rejette.

Puis la douleur reflue, les choses semblent tomber en place. Et c’est plus ferme que depuis des années que celui qui était un vieil homme se relève. Il se sent presque jeune à nouveau, le monde a regagné une clarté et une acuité inégalée. Il sort dans l’air nocturne, le dos droit pour la première fois depuis des années. Le monstre l’attend sous les étoiles et lui apprend qu’il se nomme Notep, du clan Nosferatu, qu’il travaille pour Pharaon et qu’il a transformé l’homme pour lui faire payer une dette.

Il semblerait que Notep soit un sorcier en possession d’une version secrète et mystique du Livre des Morts. Hélas, il semble que le feu de la veille ait mangé les feuillets sacrés… Il s’agit de trouver le livre ou de trouver ceux qui en possèdent la sagesse…

L’homme est persuadé qu’il n’est plus un homme mais un membre de l’armée des juges de la mort, qu’il est devenu comme Amout, destiné à dévorer les âmes des méchants. Il n’est plus un homme mais un démon de la nuit. Et comme Set sauva Râ du serpent Apophis lors de son séjour nocturne, il servira Râ, Pharaon et l’Égypte des profondeurs des ombres…

Il se nomme Khet-Raneh et il est désormais immortel. Son corps s’est momifié de lui-même, et il a désormais une mission.

Il se nomme Khet-Raneh, du clan nosferatu et le vieil homme est désormais loin derrière lui.