Accueil > Jeux de rôle > Ars Magica > Ailin Doublevue – Tome II « Fondations » > Le Scribe Déchu
Campagne Ars Magica - Nantes
Le Scribe Déchu
extrait des mémoires d’Ailin Doublevue – Tome II - « Fondations »
mercredi 30 novembre 2011, par
Notre expédition de la veille avait laissé des traces chez mes compagnons. La Roue du Temps avait cependant décidé de m’épargner et m’incitait à agir pour faire tourner ses rouages dans le sens le plus opportun.
Mes discussions avec le Baron et les quelques marins ou employés à ses ordres m’apprirent qu’il existait un lieu en ville ou des érudits retranscrivaient des chants et légendes de Bretagne et du Nord.
Le Prince Malvolio nous avait laissé rien de moins qu’un Capitaine anglais, William Whitefull, pour nous épauler. Je l’invitai donc à m’escorter autant que me guider à travers les ruelles étroites en terre battue.
Je fus accueilli sur place par un homme en bure. Aucun signe distinctif ne signalait son appartenance à un quelconque ordre mais son allure avait tout de l’érudit. Lui et les autres hommes de lettre fréquentant les lieux connaissaient la Dame Blanche. Elle était en quelque sorte la Légende de Brest. Symbole de la ville avant l’arrivée de l’Eglise. Les légendes ayant trait à la protection de Brest ou des marins de Brest par la Dame Blanche étaient du patrimoine de la ville. Mais la Dame Blanche n’était pas une représentation forcément bien vue par l’Eglise et considérée comme une icône païenne. Qui plus est, je sentais que mon interlocuteur ne me disait pas tout.
Le soir devait avoir lieu une soirée contes et légendes avec un barde, Siegfried, venant conter en skalde. L’homme en bure m’invita à me joindre à la soirée, accompagné si je le souhaitais.
De retour chez le Baron Emeran, j’appris qu’il était déjà allé avec sa femme quand elle était en vie assister à ce genre de représentations. Il était même un des fidèles du lieu et, au décès de son épouse, avait légué nombre d’ouvrages ou d’écrits au cercle d’érudits.
Le Baron indiqua aussi que depuis quelques années le cercle s’était attiré l’inimitié de l’Eglise. Un des membres ayant même été traduit en justice. Une demi-surprise. Il n’est en effet pas rare de voir l’Eglise combattre ce qu’elle ne peut pas convertir. Et garder un intérêt affiché pour des symboles non reconnus par le Clergé n’a jamais été bien vu par celui-ci.
En fin de journée, Dame Catherine n’était toujours pas revenue de ses pérégrinations secrètes. Le Baron vint nous voir et nous expliqua vouloir contre-attaquer. Il commença par nous dire ce qu’il savait sur les dénommés Wolfrog et Wolfrar, les deux roux affrontés la veille. Tous deux étaient dans le trafic de poudres et la mise en place d’un réseau de jeunes femmes de petites vertues. Les deux roux n’étaient pas innocents dans la recrudescence de gens qui venaient s’encanailler à Brest.
Sparafucile, quant à lui, organisait les soirées où poudre et femmes étaient mises à disposition.
Mais les informations du Baron allaient plus loin. Elles me permirent ainsi d’identifier Sparafucile comme un « graceling ». Des hommes ou femmes dont la caractéristique est d’avoir des yeux verrons et d’être très doués dans des domaines spécifiques. J’avais même entendu à l’époque, que le Roi d’Angleterre était entouré d’une garde rapprochée de plusieurs gracelings.
Le soir arriva et nous nous retrouvâmes tous les quatre auprès du cercle d’érudits. Le Baron avait préféré rester en sécurité chez lui plutôt que de prendre le risque de s’exposer. Nous fûmes accueillis par l’homme que j’avais rencontré plus tôt dans la journée : Pierre Nora. Celui-ci nous conduisit dans une pièce spacieuse dans laquelle le barde commença à chanter.
Mais quelque chose vint à me « titiller » et je sortis de la pièce. La porte d’en face était ouverte et éclairée : la bibliothèque avec ce qu’elle devait contenir de récits passionnants. Mais le sentiment d’insécurité restait présent et je n’osai m’aventurer trop précipitamment. Je Lui demandai donc d’aller s’assurer que rien ne dangereux ne m’y attendait. Il me rapporta que personne n’était dans la pièce. Mais que sur l’un des pupitres était ouvert un livre dont les pages se tournaient une à une. Seules.
Je décidai à avancer prudemment et entrai dans la bibliothèque. L’odeur si agréable du vieux papier vint réchauffer mes sens. Si, contrairement à la majorité de mes confrères, je n’avais pas passé la quasi totalité du temps de ma jeunesse dans l’obscurité d’une bibliothèque à m’user les yeux sur de vieux ouvrages à la lumière d’une chandelle vacillante, j’avais et j’ai toujours gardé cet a priori positif en la présence de cet odeur de vieux livre.
Les pages du livre se tournaient en effet à un rythme lent mais régulier. Je les observai avec un intérêt vif mais prudent, cherchant supercherie mais évitant d’user de magie... et donc sans rien identifier. Le cycle s’arrêta sur une page en particulier. L’image de Malvolio, le Prince vampire se matérialisa, sa main posée sur ladite page, dans une posture d’invitation, avant de disparaître de nouveau. Je m’approchai et y découvris une enluminure représentant la Dame Blanche, couplée d’un texte onirique racontant la rencontre de l’auteur, Merwyn Meaulne dit le Scribe Déchu, avec celle-ci. Le Palais des Chimères y était présenté comme sur une île située au milieu de la baie et entourée d’un épais brouillard où seuls les invités pouvaient y accéder. Une terre d’accueil où même les esprits les plus belliqueux respectaient une trêve. Le Scribe déchu se souvenait de l’accueil qu’il y avait reçu en particulier de la Dame Blanche avec qui il semblait avoir eu une relation plus ou moins platonique.
Je quittai la salle et retrouvai mes sodales. Amalric avait pris le relais du barde skalde et terminait sous les ovations. J’informai mes deux confrères de ma découverte. Puis, l’auditoire se dispersant, je sollicitai un entretien avec Pierre Nora au sujet de Merwyn Meaulne. À l’évocation de ce nom, l’érudit nous invita à poursuivre la conversation dans la bibliothèque, loin des oreilles non averties.
Le Scribe Déchu avait été membre du cercle des érudits. Il avait été accusé par l’Église sept ou huit ans plus tôt puis « jugé » par celle-ci mais serait encore en vie. L’auteur avait ainsi payé un lourd tribus sa soif de connaissance sur la Dame Blanche et s’était retiré. Pierre Nora me marqua même sa confiance en me prêtant l’ouvrage de Merwyn Meaulne.
Le lendemain, je passai une bonne partie de la journée à me plonger dans le livre. Difficile d’en soustraire des éléments intéressants pour notre enquête en dehors de la page présentée par le Prince de la Nuit. Une allusion à l’ÃŽle aux Trois Esprits marqua tout de même mon attention au milieu de deux paragraphe onirique. L’ÃŽle aux Trois Esprits est, comme le lecteur averti le sait, l’autre nom donné à Fudarus, la Maison des Tytalus.
Le soir, nous demandâmes une audience auprès de Malvolio. Le Capitaine William Withefull nous conduisit cette fois-ci à une maison richement aménagée dans les quartier plus aisés de la ville. Malvolio chercha à savoir où nous en étions dans notre enquête. Il ne chercha pas à dissimuler son impatience, alors que nous ne lui étions en rien redevable. Il s’amusa même - « s’amusa », oui je pense que c’est le terme – à tenter de sonder mon esprit. Mes années d’apprentissage en Mentem me furent utiles pour résister. Mais si nous avions des doutes sur la distance à garder avec cet allié providentiel, ceci sonna comme un rappel à la prudence. Nonobstant ce comportement dominateur, Malvolio consentit à se renseigner sur le lieu où se terrait le Scribe Déchu.
Le lendemain, nous reçûmes une missive de Malvolio portée par le Capitaine. Celle-ci indiquait où se trouvait Merwyn Meaulne. Le soleil glissait vers le crépuscule de sa journée mais nous décidâmes de nous y rendre sans attendre le jour suivant. William nous aiderait à éviter les gens d’arme anglais présents à Brest et l’obscurité nous ferait un second allier.
La maison était étroite, enserrée entre deux autres habitations donnant sur la même venelle sinueuse. Personne ne répondit lorsque nous frappâmes à la porte. Nous décidâmes cependant d’entrer. L’intérieur était baigné d’une forte odeur de renfermé. La pièce abritait une simple table et un escalier montait vers la chambre à l’étage. Mes sens amplifiés m’apprirent qu’une personne y dormait.
Je fis apparaître l’image de la Dame Blanche. Elle précéda nos pas pour réveiller le Scribe Déchu : un vieillard usé, les mains brisées, le visage fatigué. Après la surprise de voir apparaître l’image de celle qui l’avait envoûté, le vieil homme compta le récit de ce jour qui bouleversa sa vie. Le récit avait plus du délire d’un homme qui a abandonné la raison depuis de longues années. Nous comprîmes cependant que, plusieurs années ou dizaines d’années plus tôt, son embarcation s’était retrouvée dans un épais banc de brume. Dans celui-ci était apparu une île qu’il n’avait jamais vue sur aucune carte. L’homme avait accosté sur la rive et la Dame Blanche l’avait accueillie. Elle voulait qu’il arrivât sur place. Et le lendemain, alors qu’il devait partir, elle lui avait remis une orbe, finit-il par avouer à Xzyl. Une orbe qui aurait dû lui permettre de revenir.
Xzyl sonda un peu plus loin l’esprit du vieillard et apprit où était rangé l’orbe. L’objet avait la forme d’un œuf d’un bleu pâle. Le même œuf que celui de l’illusion que nous avions vu en quittant l’île quelques jours plus tôt, quand la Dame Blanche nous avait guidés.
Ce fut à cet instant que tout se précipita. Amalric, resté en bas, nous mis en garde : des bruits de pas avaient attiré son attention en dehors de la demeure du scribe et il avait trouvé notre brave capitaine anglais proprement égorgé. Sparafucile ? La milice se rapprochait et nul doute que nous aurions du mal à expliquer notre présence sur place.
Nous nous précipitâmes au dehors. Le Scribe voulut poursuivre Xzyl et surtout son orbe mais fit une lourde chute dans les escaliers. Je refusai de le laisser là. Si son souhait était de retrouver le Palais Chimère pour y passer ses derniers jours, nous nous devions de l’y aider.
Amalric le prit donc sur ses épaules et nous nous dépêchâmes de quitter les lieux. La course n’a jamais été mon fort et je fus bientôt encerclé. Heureusement, je pus tromper les sens des soldats et leur échapper.
J’arrivai au petit matin sain et sauf à la riche demeure du Baron Emeran. Dame Catherine était revenue de ses activités auréolées de secret. Mais surtout, Xzyl avait fait une intéressante découverte. Sur l’orbe bleue, étaient gravés des symboles dans une langue inconnue mais que nous lûmes cependant sans mal :
- « Semblable à l’oiseau de feu,
- mourir et renaître je dois,
- afin de guider tous ceux
- qui dans les brumes se noient. »