la guilde d’Altaride

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Highlander

La Valeur d’une amitié

FanFic

dimanche 24 juillet 2016, par Stéphane Hocquet

Prologue

Quelque part au sud de l’Irlande, au XVIIIe siècle. La cavalière poussait son cheval au galop du plus vite qu’il était possible ; elle était inquiète. Une jeune vie risquait de disparaître si elle arrivait trop tard. À la vue des ruines d’une fermette, elle ressentit la Présence ; deux Immortels.
« Dieu tout puissant, faites qu’il soit encore temps ! » pensa-t-elle.
Elle freina sa monture fourbue et s’élança à l’intérieur des ruines d’où provenait le bruit de deux lames se choquant. Elle fut un instant désorientée à ne pas voir ceux qu’elle cherchait, puis les trouva dans le potager à l’arrière de la maison. Les deux hommes luttaient farouchement ; le plus jeune ployait sous la force de l’autre mais refusait de céder.
« Khain ! Cesse ce combat immédiatement ! Tu le sais que Rudy n’est pas à ton niveau ! Epargne-le ! »
Si le guerrier celte entendit ces phrases, il n’en laissa rien paraître et ne relâcha pas la pression. En revanche, le jeune garçon eut un regard implorant envers son mentor ; distraction fatale puisqu’il cessa de résister à son adversaire. L’épée multiséculaire le renversa puis plongea dans son cœur.
« Maître. Vous intervenez ? Malgré les Règles ?
Tu sais que ce n’est pas ce dont il s’agit. Rudy vient à peine de finir son apprentissage ; il a toute une vie devant lui. Tu n’as pas le droit de le tuer maintenant.
Votre sollicitude est charmante Maître mais…j’aime jouer le Jeu comme il me plait. (Khain décoche un violent crochet à la mâchoire de la femme qui tombe sur une pierre) Et il me plait de prendre votre Quickening, Maître, mais rassurez-vous pas aujourd’hui. »
C’est la dernière chose cohérente qu’enregistre l’esprit de l’Immortelle avant un grand trou noir.
Lorsqu’elle reprend conscience, Gallenda ne peut que constater la décapitation de Rudy O’Neil, jeune Immortel d’à peine vingt ans. Elle pleure ses échecs.

Hong-Kong, Mars 2001.

Ce jour-là, Kazumi a eu envie de s’acheter un nouveau roman, ce qui l’a amené à se rendre dans un magasin culturel très prisé. Et là, une affiche au rayon CD de musique classique fait mouche dans son esprit : le samedi 24 mars, un concert de musique sera interprété à l’opéra par la célèbre harpiste Mary Patrick.
« Ce serait une bonne idée d’y assister » se dit-elle.

« C’est une très bonne idée, en effet. » approuve plus tard son mari, Tsan Jian. Et il réserve aussitôt trois places parmi les meilleures.
Le jour venu, une petite famille prend place parmi les balcons. À les voir, on devine le bonheur qui est le leur : le père, très grand et fort de constitution, porte un smoking blanc avec une fleur rouge à la boutonnière ; la mère, jeune d’apparence, est vêtue d’une robe de soirée simple mais de bon gout ; et le fils, adolescent déjà, n’est pas le moins émerveillé d’être là. Mais qui pourrait se douter que derrière cet aspect, se trouvent trois Immortels qui, pour l’heure, s’accordent une pause dans leur vie agitée. Néanmoins, Tsan Jian a une pensée secrète : la vue de l’affiche du concert et la photo de l’artiste, lui ont rappelé quelques événements lointains.
L’obscurité se fait, les rideaux s’ouvrent sur l’orchestre. Le chef entre, presque aussitôt suivi par la grande concertiste, sous les applaudissements. Pendant un instant, elle s’arrête, hésitante, puis, après avoir salué le public, elle s’assoie à son instrument. Dans leur balcon, Kazumi et Sammy regardent, surpris. S’ils ont senti la Présence de la femme, cette Immortelle doit deviner leur proximité à eux aussi. Mais ils n’ont pas le temps de s’interroger, déjà le chef d’orchestre donne le début du premier morceau. L’Immortelle sur scène a-t’elle peur ? Rien ne semble le dire tant elle s’absorbe dans sa musique, donnant le meilleur d’elle-même à tous ces gents qui sont venus l’écouter ce soir. Les airs traditionnels se suivent pendant un peu plus de deux heures, puis résonne une musique rare, un morceau semblant appeler à la mémoire profonde de l’Humanité. À ces notes, Tsan Jian sent ses souvenirs prendre le dessus.

Écosse, octobre 1565.

Tsan Jian et ses deux jeunes disciples d’alors, Athina Sirinakis et Horace Green, voyageaient en ce temps là sans se soucier d’éventuels dangers. Jian était bien occupé à enseigner le Jeu à ces deux jeunes gents ; surtout à Horace qui découvrait encore ce que signifiait le fait d’être immortel. Ce jour-ci, alors que le soleil descendait sur l’horizon, les trois Immortels firent halte au bord d’un lac ; ils n’auraient pas le temps de rejoindre le prochain village aujourd’hui. Laissant ses deux disciples dresser le campement, Jian partit en chasse d’un gibier. Il trouva les traces d’un groupe d’animaux et les suivit. Plus loin, il les rattrapa. Il s’agissait d’une dizaine de daims. Jian les observa, cherchant sa proie ; puis il la vit : un peu à l’écart, un individu fatigué par l’âge trainait des pattes. Jian contourna le groupe, se plaçant de manière à ce que le vent aille des daims vers lui et non l’inverse. Il encocha sa flèche et, respirant lentement, il visa le cou de l’animal ; il prit au moins une demie-minute et, lorsqu’il fut certain que la flèche allait tuer net, la relâcha. Quelques instants plus tard, sa proie sur les épaules, Jian revenait d’un pas tranquille vers le lac. Ce fut à la base d’une colline, qu’il devait encore contourner, qu’il ressentit une violente Présence qui lui mit un fort goût de sang dans la bouche. À ce moment retentit un cri d’effroi. Sachant Athina et Horace en danger, Jian escalada en courant cette colline. De son sommet, il les vit : Athina essayait tant bien que mal de combattre l’Immortel qui les agressait ; déjà Horace gisait mort. « Dieu merci, il n’a pas encore perdu la tête. »
Hésitant juste le temps de cette pensée, Jian dégaina son no-dachi et courut au secours de la jeune femme. L’intrus mit un terme au combat : sa lame éventra l’Immortelle, et il s’apprêtait à décapiter ses deux victimes lorsqu’une Présence l’en empêcha. L’instant d’après, une tornade de colère froide le heurta. Les deux hommes s’affrontèrent férocement : à une technique appliquée et rapide répondaient des coups portés avec force et une certaine agilité qu’on ne pouvait deviner de prime abord. Lors de l’un de ces échanges où les deux armes s’étaient croisées sans prendre d’avantage, Jian remarqua une large cicatrice au cou. Il sût alors qui il affrontait : il avait entendu dire que le Kurgan, ce guerrier millénaire et brutal trainait dans le pays et qu’il avait récemment décapité Juan Ramirez, non sans que celui-ci ne le blesse à la gorge. Se lassant d’un combat difficile pour lui, le Kurgan cassa alors l’échange et, s’esquivant, partit non sans promettre des retrouvailles sanglantes. Jian ne chercha pas à le poursuivre, ce qui comptait pour lui c’était la vie de ses élèves. Une fois ceux-ci revenus à la vie, le trio préféra voyager de nuit afin de s’éloigner de cette menace.

Hong-Kong, mars 2001.
Se refusant à penser d’avantage à ce fâcheux événement, Tsan Jian se laisse aller à apprécier la fin du concert. Ces retrouvailles promises n’avaient jamais eue lieu ; et cela fait maintenant un peu plus de quinze ans que La Mort, celle qui prend les Immortels décapités, avait rattrapé ce barbare sanguinaire. Connor Mac Leod avait mis fin à cette menace et cela n’était que justice.
Sur les dernières notes d’un air folklorique irlandais connu, le public se lève et fait une longue ovation à la musicienne. Puis, il est temps de partir. Mais, en souvenir d’un bon vieux temps, Jian décide d’aller saluer Mary Patrick dans sa loge. Lui et les siens se rendent donc dans l’arrière du bâtiment. Enfin, Kazumi peut poser la question qui lui brûle les lèvres depuis le début :
« Cette femme est une Immortelle ; le savais-tu, Jian ?
Oui, je la connais depuis quelques siècles, elle me fut d’une grande aide à un moment où j’en avais bien besoin. »
Arrivant aux loges, Jian se fait annoncer par un garde du corps. C’est avec une grande joie que Mary Patrick, de son vrai nom Gallenda, les accueille. Les présentations faites, les deux Immortels âgés se racontent ce qu’ils ont vécus depuis les décennies qu’ils ne se sont pas vus. Rapidement la carrière de l’Irlandaise vient dans la discussion.
« Alors, jeunes gents, demande Mary, avez-vous apprécié cette soirée ?
J’ai beaucoup aimé, avoue Kazumi, je ne sais pas pourquoi mais je me sentais comme…transportée vers votre terre natale. Comme si votre musique était une fenêtre sur l’Irlande.
Gallenda a toujours eue un grand don pour susciter des émotions diverses chez ceux qui l’entendent jouer sa musique. Cela est dû à une longue pratique mais surtout à un talent inné de grande valeur. (Comme l’Irlandaise rougit du compliment) Ne te dénigre pas, tu sais que c’est vrai. Comment aurais-je pu rassurer mes disciples, leur faire oublier ce qu’ils avaient vécus, si nous ne t’avions rencontrée ? »

Irlande, mai 1566.

C’est un matin radieux qui éclaire cette forêt du sud-est de l’ile d’émeraude, comme on appelle poétiquement cette terre. Mais, des trois cavaliers qui vont sur cette route, seul le plus âgé pourrait se laisser aller à avoir l’esprit poétique…si l’humeur de ses deux jeunes compagnons n’était pas un souci. Seulement, Athina Sirinakis et surtout Horace Green ne peuvent s’empêcher de penser et repenser à ce soir d’octobre où ils ont failli perdre définitivement la vie. Et, malgré ses nombreuses paroles de réconfort, Tsan Jian sent bien qu’il suffirait de peu pour que ses disciples ne perdent la raison à causes de leurs peurs. Alors, lorsque dans leurs esprits le sentiment grandissant signale l’un des leurs en approche, les réactions des deux jeunes gents sont quelque peu vives : si Athina se contente de trembler violemment de tout son corps, Horace dégaine son épée, prêt à se lancer aveuglément au combat.
« Horace, le rappelle doucement son mentor, ne sois prêt à combattre que si tu sais ce qui te menace. Pas autrement.
Mais, Maître ! Il y a un Immortel qui arrive !
Peut-être, mais si tu réfléchissais un peu au lieu d’agir comme un sot, tu te rendrais compte que cet Immortel a lui aussi peur : il ou plutôt elle est seule, elle sait que nous sommes plus de deux et s’est arrêtée sur le bas coté. De plus mon don me dit qu’elle a une bonne âme. Mieux vaut s’en faire une amie ou du moins une bonne rencontre. »
Ainsi, c’est en gardant leurs chevaux au pas que Jian et ses disciples s’en viennent à la rencontre de leur semblable. Comme l’avait deviné Jian, c’est une femme, d’aspect encore jeune malgré un quelque chose qui indique du vécu. Tsan Jian s’incline à sa hauteur.
« N’ayez crainte, chère dame, il n’est pas dans mes intentions de chercher des têtes si je n’ai aucun grief envers leur porteur. Et mes élèves sont encore trop verts pour être dangereux. Je suis Tsan Jian, héritier du royaume du Tigre Blanc et prince de Qin. Et voici Athina Sirinakis, de Grèce ; et Horace Green, adolescent anglais. »
À ces mots l’Immortelle sourit et se présente à son tour :
« Enchantée de vous rencontrer. Mon nom est Catharin O’Seal et je suis née en ces contrées. Si je puis vous être utile.
Et bien, ma foi…répond Jian, il me semble avoir entendu un certain nombre d’histoires sur les pouvoirs de ce que vous appelez ’le Petit Peuple’ ; alors si vous pouviez m’indiquer l’un de leurs lieux pour que je puisse y emmener mes disciples qui ont besoin d’oubli, j’en serai fort aise.
En cela, je puis vous rendre service. Il se trouve que j’ai ma maison sur une colline que l’on dit habitée par eux ; et il est vrai qu’il y a là une énergie certaine, de quoi apporter repos et sérénité. »
Ainsi, les quatre Immortels s’avancent jusqu’à une maison de bois, en haut d’une butte de roches. C’est une demeure coquette et confortable que découvrent Jian et ses disciples. La demeure d’une femme seule mais qui sait accueillir des invités pour un temps. D’ailleurs la voila déjà à mettre un ragout sur le feu de la cuisine.
« Mangeons donc un peu et faisons connaissance, dit-elle, nous aurons le temps de vous installer dans l’après-midi. »
La jeune femme expliqua être Celte et se nommer Gallenda. Elle était suffisamment âgée pour se souvenir d’un temps où les Romains ne s’intéressaient pas à cette terre. Barde de son état, elle avait eu le malheur, un jour, de chanter un air qui déplut grandement à un chef de clan. Et celui-ci l’avait tuée dans sa colère. Recueillie à sa résurrection par un druide Immortel, elle s’était ouverte à de nouvelles connaissances qui ne se limitaient pas qu’à l’usage des armes. C’est ainsi qu’elle avait appris à ressentir la nature spirituelle des choses. Elle ressentait l’énergie bénéfique qui émanait de cette colline et de ses environs. Elle ressentait la grande bonté de son mentor et appréciait son savoir et sa sagesse. Aussi, après la décapitation de celui-ci, avait-elle tenu à faire de ce lieu sa demeure principale aussi longtemps qu’elle vivrait. Jian lui raconta en quelques mots ses origines puis lui expliqua son problème. Gallenda leur offrit donc l’hospitalité pour aussi longtemps que nécessaire.
Les jours, puis les semaines, passèrent donc avec cette délicieuse sensation de tranquillité, de sécurité. Profitant de l’enseignement patient de leur mentor, de la douceur d’âme de leur hôtesse et des bienfaits de sa musique, Athina et Horace commencèrent à apprécier les lieux. Il fallut quatre mois pour que la peur du Kurgan s’évanouisse définitivement. Lorsque Tsan Jian et ses disciples prirent congé de Gallenda, à l’automne, ce fut avec le cœur serein de ceux qui ne craignent plus les dangers quels qu’ils soient.

Hong Kong.

« Malheureusement, raconte Jian, Athina et Horace ont fini par perdre leur tête ce dernier siècle, victimes d’Immortels plus forts et surtout plus fourbes qu’eux. Je n’ai pas encore pu mesurer l’entière profondeur de la vilénie qui anime certains d’entre nous.
Quel dommage ! Compatit Gallenda. Mais c’est bizarre comme depuis quelques décennies notre race tend à perdre la raison, s’enfonçant de plus en plus dans le sang.
(Un silence)
Penserais-tu à quelqu’un en particulier ? Demande Jian.
Moi ? Non ! S’exclame Galenda. Bien sûr que non. Que vas-tu chercher ? »
« Elle a peur. Pense Jian. Elle essaye de me faire croire que non, mais elle se sait menacée. Sa peur est si visible. Mes soupçons sont donc fondés. »
Gardant le fond de sa pensée pour lui, Jian reprend la discussion sur des sujets plus légers. Les quatre Immortels passent ainsi près d’une heure à parler de choses et d’autres avant que le secrétaire de Mary ne la rappelle à ses obligations du lendemain.
De retour à son hôtel, Gallenda prend une bonne douche, puis une petite collation. Au moment où elle veut se coucher, le téléphone de sa chambre sonne. Elle hésite un instant avant de décrocher, de crainte de l’entendre. Mais fuir n’est pas vraiment sa nature aussi elle se saisit du combiné et, d’une voix qu’elle espère sûre, dit le traditionnel Allo.
« Bonjour Maître, je ne vous réveille pas, j’espère.
Khain ! Qu’est ce qui te prend de m’appeler à une heure pareille ?
Le Jeu, Maître ; quoi d’autre ? L’heure est arrivée. Venez, Maître. Venez essayer de vous sauver. Mais vous ne verrez pas le soleil se lever ce matin.
Très bien ; je relève ton défi. Où es-tu ?
_Pas très loin de votre hôtel. En fait je téléphone de la cabine d’en face. Vous savez, Maître, il y a un petit passage couvert à un quart d’heure d’ici vers le port. Je vous y attends dans trente minutes. Nous allons bien nous amuser. »
Et l’ancien guerrier raccroche.
Gallenda met une minute à faire de même tellement la perspective de ce combat lui fait peur. Khain avait de tout temps été l’un de ses disciples les plus doués sinon le plus doué ; quel dommage qu’il soit si malfaisant et cruel.
A quelques rues de là, une très grosse limousine Mercedes blanche. À l’intérieur, Jian retire son oreillette. « Je le savais. »
Une demi-heure plus tard, c’est une Gallenda quelque peu nerveuse qui arrive au lieu du rendez-vous fixé par son ancien élève. Une grille ferme (fermait) le passage mais sa serrure a été fracassée d’un coup violent. La Celte entre et s’avance dans le passage. La lumière fait défaut en ce lieu ; le moindre relief semble projeter une ombre pleine de menaces. Les pas donnent l’impression de résonner contre des plaques de métal. Et, pire que tout, Gallenda a l’impression d’être seule au monde ; ne ressentant aucun signe de Présence.
« Khain ? Es-tu ici ? » Le silence. Gallenda commence à pester contre le manque de ponctualité lorsqu’un bruit soudain la fait sursauter : un grondement sourd mais présent. Sur le qui-vive, elle regarde tout autour d’elle. Rien. Rien d’autre que cette chape d’ombres et un courant d’air moite qui traverse le lieu. Puis une lueur dehors. Brève ; suivie d’un grondement.
« C’est bien ma veine, peste la femme, voilà qu’un orage arrive. Et Khain qui ne se montre pas. »
Brusquement, un autre bruit, si soudain, si insolite qu’elle en sursaute de frayeur. Un bruit de canette écrasée. Gallenda se retourne vers l’origine de ce bruit. À quelques mètres à peine, un homme massif malgré une taille moyenne sort de l’encadrement de porte où il devait se cacher depuis un long moment.
« Alors, Maître, comment trouvez-vous mon sens de l’accueil ? Bonne idée d’attendre une nuit d’orage pour vous faire venir, non ? » Ironise l’homme. Et que dites-vous de ce petit bricolage de mon cru pour que vous ne me ressentiez pas ? Un maillage de câbles électriques autour de ma cachette et le tour est joué. »
Gallenda ne répond pas ; elle n’en a pas les moyens. Ses pensées ont tendance à courir dans tous les sens et à s’échapper de sa tête. Puis, alors qu’un nouvel éclair illumine les lieux, elle remarque l’épée dans la main de son vis-à-vis. Il lui faut alors trois secondes pour se rappeler ce qu’elle est venue faire ici : Khain l’a défiée ; il veut lui couper la tête ! « Non !! Je ne veux pas mourir ainsi ! Pas maintenant ! Pas de cette façon ! »
Elle a juste le temps de dégainer son épée que son ancien disciple commence les hostilités. La femme essaye de se défendre mais sa terreur paralyse ses muscles, ralentit de trop ses gestes. En deux passes d’arme elle perd le combat et c’est presque avec soulagement qu’elle sent la lourde lame de son adversaire lui ouvrir le ventre. Dehors la pluie s’est mise à tomber, drue.
« Vous me décevez, Maître. Je pensai que vous tiendriez plus que ça à la vie. Vraiment, vous ne m’amusez plus.
_Et si tu t’amusais à défendre ta propre vie au lieu de toujours chercher à faucher celle des autres ? »
Khain se retourne. Dans son agonie, Gallenda ne voit qu’une grande forme blanche mais pour le meurtrier c’est un adversaire des plus singuliers qui se tient près de là. Un homme grand, vêtu d’une tenue de shinobi d’un blanc presque uni, si ce n’était quelques détails noirs, tenant un katana dans une position de défi.
« Qui êtes-vous ? Comment osez-vous ?
_Je suis ta mort Khain. Je suis ici pour sauver la vie de ton mentor en t’affrontant.
_Pauvre fou de Mortel ! Je me moque de savoir comment tu connais mon nom et pourquoi tu viens me défier ; je vais t’étriper et après je décapiterai la femme.
_Mortel ? Qui t’as dit que je ne suis qu’un Mortel ? Ta ruse de discrétion se retourne contre toi. Je suis Tsan Jian. »
Khain comprend alors qu’il a peut-être sous-estimé la situation : l’homme le plus influent de Hong Kong et aussi de Macao est un Immortel très redoutable. Mais le Celte en a vu d’autres. Plusieurs fois des Immortels l’ont défié en se pensant capables de rivaliser avec lui, tous ont eu le temps de regretter leur audace avant de perdre la tête. Il en sera de même de ce Chinois. Les deux hommes se font donc face ; la volonté de tuer se lit dans chacun des deux regards. Alors qu’au dehors l’orage continue, La Mort prend place, spectatrice d’un duel qui la verra récompensée. Il ne peut en être autrement. C’est à ce moment que Gallenda revient à la vie. Alors elle reconnait son ami dans cette espèce de fantôme sauveur.
"Jian, pourquoi ?
_Tout simplement parce que je te devais un grand service. »
Khain profite de cette légère distraction pour passer à l’attaque…à sa manière. Il présente son arme manche vers son adversaire puis imprime une pression tournante sur celle-ci : une espèce de courte flèche est propulsée et touche Jian au ventre. Celui-ci, à peine troublé, réplique en sortant un couteau de sa tunique et le lance de façon à toucher l’épaule droite du Celte. « Egalité, Khain. Nous devons attendre un peu avant le vrai combat. Gallenda, sauve-toi, pars d’ici. » L’Immortelle ne se fait pas prier ; elle se relève et part au dehors. Mais elle ne s’éloigne pas. Elle veut savoir quelle sera l’issue du combat et se met donc à attendre. La pluie qui continue ne la gêne pas. Plusieurs longues minutes s’écoulent pendant lesquelles le bruit des deux lames s’entrechoquant est la seule perception de l’Irlandaise. C’est à ce moment que le ciel choisit de se joindre à la chose. Un éclair vient brusquement tomber sur le passage. Un hurlement aussitôt après puis, quelques si silencieuses secondes plus tard, les lumières d’un puissant quickening illuminent le lieu.
Le calme revient. L’orage s’éloigne maintenant et, à l’intérieur du passage, il n’y a plus qu’un Immortel vivant. Gallenda voit bientôt sortir celui-ci. À sa taille, à sa tenue blanche, elle reconnait Jian. Elle accourt vers son sauveur car elle sait : Khain ne menacera plus jamais personne.

Dimanche 25 Mars 2001.

C’est une journée ensoleillée qui a commencé. L’orage a purifié le ciel de Hong Kong comme le réveil chasse les images d’un cauchemar. Attablés devant un solide petit déjeuner, Jian et Gallenda profitent pleinement de leur chance : ils sont vivants après une de ces journées où tout un chacun pouvait y rester. Echangeant souvenirs et plaisanteries ils rient comme deux collégiens, comme deux amis de longue date, heureux de savoir que la route continue. Mais la musicienne celte a brusquement un air soucieux.
« Que se passe-t-il donc ? S’enquiert le noble chinois.
_Je me pose la question : comment as-tu fait pour savoir que j’avais ces ennuis ? Tu n’es pas venu à mon secours par hasard.
_Non j’avoue. Te souviens-tu de la seule fois où tu m’avais parlé de ton disciple khain ? »
Gallenda rougit : elle ne se rappelait plus d’avoir parlé de sa honte à son ami.
« Où était-ce ?
_L’ Old East saloon, tu te rappelles ?

La ville de San Gabriele, Californie, 1881.

Fausse piste ! Jian se retrouve dans cette région des Etats-Unis pour rien : Annabelle Brown, la criminelle immortelle qu’il poursuit a dû prendre une autre route pour lui échapper. Donc, fataliste, il se dit qu’il peut rester quelques temps par ici. Il profite donc d’une journée ensoleillée pour flâner en ville. Décidant de boire un verre, il se rend dans un saloon un peu à l’écart de la rue principale mais néanmoins bien fréquenté, l’Old East. Mais même dans ces moments où il aspire à la normalité, il semble que l’Immortalité poursuive chacun des siens : une Présence se fait ressentir tandis qu’il passe les battants de l’entrée. En même temps, il doit se baisser pour esquiver une bouteille volante.
« Garce ! Femme de peu ! Hic ! J’ai bi…hic…en le droit de…de paaarlerrr… avec monsieur, hic !
Dégage de là, Shamrock, cet homme est mon habitué. »
Curieux spectacle que celui de ces deux femmes en venant aux mains à même le sol, sous les moqueries et encouragement d’un public masculin. La rousse, apparemment bien imbibée d’alcool, prend le dessus et, d’un vigoureux crochet, laisse son adversaire au sol à moitié sonnée. Puis la gagnante se pend au bras d’un homme très gêné par la tournure des événements.
« Al…ors, mon chér…hic ? On n’y vaaas ?
_Catharin, Fais attention ! »
À ces mots, l’Irlandaise se retourne pour voir un grand Chinois venir arracher un petit pistolet des mains de sa rivale. L’intervention de Jian et sa stature ont un effet refroidissant immédiat sur l’ambiance ; le silence se fait là où il y a une minute encore une hilarité grossière tenait lieu de musique. La danseuse du saloon ainsi désarmée a un instant l’air malheureuse puis son visage reprend un masque de colère.
« Elle me vole mon client !
_Elle ne volera rien du tout. Je me charge d’elle. Et vous, petite vipère, estimez- vous heureuse que je ne fasse que vous désarmer. Catharin, laisse cet homme tranquille. Il vaut mieux que ce soit avec moi que tu discutes. »
Quelques minutes après, les deux Immortels sont à table, loin de la scène, et c’est une Gallenda en pleurs que Jian s’efforce de réconforter. La femme, peut être sous l’effet de son ivresse, se laisse aller à des confidences très personnelles : Elle raconte ainsi sa vie de pré-immortelle, sa première mort, son mentor et vient à raconter la première fois qu’elle croisa un immortel récent ;
« C’était il y a plus de deux-mille ans, dans mon île. Il se nommait Khain, un nom qu’il s’était lui-même choisi il y a quelques années. Ce jour-là, avec mon presque millénaire de vie, je croyais déjà tout savoir. Quelle idiote j’ai été ! Je lui ai appris qui il était, qui nous étions. Je lui ai appris le Jeu pour qu’il survive. Naïvement, je lui ai enseigné mes meilleures feintes d’arme pour qu’il soit le meilleur. C’était mon tout premier disciple ! Je voulais tant être fière de lui. Que n’ai-je vu le mal qui couvait en son cœur ? Ah, si j’avais su pour quelle raison les siens l’avaient tué, je l’aurais décapité dans son ignorance, plutôt que de nourrir ce serpent dans mon sein. C’est un monstre, un tueur sans pitié. Et j’en suis responsable ! »

Hong Kong, 25 Mars 2001.

« Ce jour-là tu étais si ivre que tu as voulu coucher avec moi. Explique Jian. Heureusement, dès que je t’ai mise dans un lit de l’hôtel, tu t’es endormie. De fait, je suis parti peut être comme un mufle, mais nous l’aurions regretté de l’avoir fait. Bon…toujours est-il que, de ce jour, je me suis promis de surveiller ton disciple pour être là au jour où il faudrait arrêter ses méfaits. J’ai d’abord mis quelques années avant de trouver ses traces puis d’autres pour savoir exactement où il était. À l’époque c’est ce qui avait motivé mon retour en Europe, il était en France. Sans le rencontrer une seule fois, je l’ai toujours eu à l’œil ce siècle-ci. C’est ainsi que j’ai appris il y a un mois qu’il t’avait contacté pour te menacer. La chance a voulu qu’il choisisse mon territoire pour passer à l’action…erreur qu’il a chèrement payée, puisqu’il n’est plus de ce monde.
_Pourquoi as-tu donc fait cela ?
_Voyons, Gallenda. Je t’ai rencontrée à un moment de ma vie où j’avais très besoin d’être aidé. Tu nous as alors ouvert ta porte sans penser aux risques que cela pouvait représenter… J’avais depuis lors une dette envers toi. Une dette d’honneur qu’il me fallait payer un jour ou l’autre. C’est fait. »

Épilogue

Dublin, Juillet 2001.

« La célèbre musicienne Mary Patrick est rentrée cette semaine de son tour du monde où elle a donné de nombreux concerts. Rappelons que ce retour s’est fait avec une quinzaine de jours de retard suite à sa décision inattendue et surprenante de donner une nouvelle date lors de son séjour à Hong Kong. À la question du pourquoi… »
Gallenda, dans sa chambre d’hôtel de la capitale de son pays, éteint la télévision. Elle n’a pas besoin d’entendre le reporter pour se rappeler la raison qu’elle avait ainsi évoquée.
« C’est pour remercier un vieil ami. »
Elle n’avait rien dit de plus mais sa pensée s’était envolée en remerciements envers Tsan Jian. D’avoir ainsi été délivrée du poids que représentait Khain dans sa vie l’avait comme qui dirait sublimée. Ses derniers concerts de cette tournée étaient sans conteste les plus réussis de toute sa carrière ; à tel point qu’un journaliste américain, à New York, l’avait surnommée l’Impératrice de la culture irlandaise. Demain, elle partira en direction d’un certain petit cottage secret, bâti au sommet d’une colline. Pendant plusieurs jours elle y vivra à l’écart de cette civilisation moderne, à jouer sa musique pour elle seule et écouter la voix du ’Petit Peuple’. Elle entend déjà son mentor, le druide Corrhag lui rappeler que :
« Il n’y a nul trésor plus inestimable qu’une amitié vraie. Deux amis qui risquent leur vie pour venir en aide à l’autre font ainsi preuve de leur capacité à faire le plus beau des sacrifices. Si jamais tu trouves une telle amitié, sois en fière car c’est ce que tu réussiras le mieux. »
« Et comme d’habitude, vous avez raison sur tout, Maître. »