la guilde d’Altaride

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Highlander

L’Affaire Ali Pacha

FanFic

dimanche 24 juillet 2016, par Stéphane Hocquet

Paris, le 10 mai 1994 au soir. Une jeune femme, âgée d’à peine 25 ans, court dans les rues, effrayée. Elle finit par arriver sur un quai de la Seine. Elle s’arrête pour reprendre son souffle. Brusquement, trois hommes surgissent dans l’escalier. Elle veut fuir de nouveau mais un autre homme se dresse devant elle et la saisit par le bras.

« Je te tiens enfin, lui dit-il. Quatre jours que je te cherche. Tu m’as donné du fil à retordre.
Pitié, Selim. Epargne-moi et je rembourserai tout ce que j’ai pris. Pitié !
Désolé chérie, mais le patron est trop furieux pour te pardonner. Tu vas mourir. »
Selim sort un poignard et le plante dans le cœur de la femme. Le cri qu’elle lance en mourant ne réveille personne.
Vingt-quatre heures plus tard, Vany, jeune Cambodgienne de 22 ans, entre dans une blanchisserie chinoise, un panier dans lequel dort un bébé, à la main. Le vieux Tsung l’accueille.
« Je cherche un emploi, dit Vany.
Si vous voulez bien passer dans ma modeste arrière-boutique, un contrat est prêt. »*
Dans cette pièce, Tsung abaisse le bras d’un petit bouddha de pierre, ce qui ouvre un pan de mur. Derrière, un escalier s’enfonce sous terre. Vany le descend, son panier à la main. Elle arrive dans une pièce où se trouvent un bureau et trois fauteuils libres. Assis de l’autre coté, un grand gaillard cagoulé l’invite d’un signe de la main à prendre place.
« Venons-en aux faits, dit-il. Vous nous avez contactés pour une affaire que vous estimez sérieuse ; de quoi s’agit-il ?
J’avais une amie qui était prostituée. Elle a été assassinée hier en laissant un bébé chez moi. C’est son enfant et elle est morte parce qu’elle avait volé de l’argent à son souteneur pour le faire soigner. Et à présent, je me sens menacée.
Je vois. Quel est le nom du proxénète ?
Il se fait nommer Ali Pacha. »
Plus tard, Tsan Jian est songeur.
« Ali Pacha. Ainsi il n’a pas changé. Il est temps qu’il paye pour ses crimes. »

Paris, 9 mars 1889.

Du haut de ses 217 centimètres, Tsan Jian admirait la tour de l’ingénieur Eiffel, conçue pour l’exposition universelle et dont les travaux étaient presque achevés. Soudainement, il ressentit la Présence d’un Immortel près de lui.
« Voila la plus horrible construction qu’il m’ait été donné de voir. Heureusement, elle sera démontée avant la fin de l’année. »
L’homme qui avait parlé était du genre rondouillard, portait de longues et fines moustaches ainsi qu’un bouc. Il était de type proche-oriental. Jian se dit que son sourire avait quelque-chose de sournois.
« Je ne le crois pas, répondit-il. J’ai entendu dire qu’il y a un bail de quelques années.
Ah ? Alors il va falloir que je m’y habitue. Je me présente : mon nom est Ali Pacha. Je suis arrivé depuis peu à Paris. J’espère que nous nous reverrons. »
« Je me le demande. » Pensa Jian alors que le Turc s’éloignait. Il n’avait pas aimé cette Présence qui lui avait donné une sensation de cendres. S’il en croyait son don, et celui-ci ne l’avait encore jamais trompé, Ali Pacha était un individu malfaisant.
Deux jours plus tard, Jian vint au secours d’une jeune femme qui se faisait battre par un ivrogne. L’homme s’enfuit et la femme tomba au sol, à moitié inconsciente. Jian la ranima.
« Vous avez eue de la chance que je passe par là. Cette brute aurait pu vous tuer. Lui dit-il.
Je vous remercie monsieur. I l faut que je rentre maintenant. »
Elle voulut se relever mais fut prise de vertiges. Jian s’en aperçut et lui dit :
« Il vaut mieux que je vous accompagne. Vous n’avez plus de force. »
Ainsi, suivant ses indications, Jian conduisit la femme jusqu’à un immeuble d’un quartier commun. Un homme dans la cinquantaine leur ouvrit la porte.
« Julie ! S’exclama-t-il. Qu’est ce qui s’est passé ? »
Jian expliqua l’agression qu’elle avait subie. Une femme d’un certain âge, arrivée entre-temps, le remercia et lui dit :
« Julie est notre fille préférée. Nous aurions été très attristés s’il lui était arrivé quelque chose de grave.
C’est le devoir d’un gentilhomme de venir en aide à une personne en difficulté. » Dit Jian. Et il partit.

Jian se tait un instant.
« Et que s’est-il passé ? Demanda Tsung.
Le lendemain, la police releva le corps de cette malheureuse. Morte, rouée de coups. Je m’en suis voulu de ne pas avoir deviné le danger qui l’attendait. Aussi j’ai cherché à savoir ce qui s’était passé. Pendant plusieurs jours je suis resté à les observer. Et j’ai découvert que cet immeuble était une maison close. Mais pour en apprendre plus, il a fallu que je m’introduise à l’intérieur et ce, de manière discrète. »
19 mars, 22 heures. Une ombre se glissait de toit en toit pour atteindre le 10 rue XX. Tsan Jian, car c’était lui, descendit le long du mur jusqu’à une fenêtre ouverte. Il entra dans la pièce qui était une chambre. Une femme était allongée sur le lit, à moitié dévêtue. Elle eut un geste de surprise puis indiqua qu’elle n’était pas seule. En effet, on entendait la voix d’un homme qui chantonnait dans la pièce d’à coté ; la salle de bain. Lorsqu’il entra, il reçut un direct dans le ventre et tomba sans connaissance dans les bras de Jian. Celui-ci le coucha sur le lit.
« Je vous reconnais, dit la femme à voix basse. C’est vous qui avez secouru Julie il y a une semaine.
Oui. Et c’est parce que je me sens en partie responsable de sa mort que je viens. Je veux savoir qui l’a tuée.
Si je parle, je suis morte moi aussi. Mais allez au rez-de-chaussée ; il y a le bureau de madame Viguier. Vous pourriez y apprendre ce que vous voulez. »
Donc Jian descendit discrètement l’escalier. En bas, il vit le couple qui l’avait reçu. L’homme et la femme discutaient entre eux :
« Je t’assure Ursule, nous n’avons rien à craindre. Le patron est loyal.
Quand même, Gustave, tu as vu comme moi comment il a tué Julie. Il me fait froid dans le dos.
D’accord, il cogne plus fort que moi ; mais il nous paye bien. C’est tout ce qui compte à mes yeux. Et puis la fille l’avait bien cherché. Elle a désobéi, elle a payé.
Attention ; je crois qu’il arrive ! »
En effet, on entendit un véhicule à cheval s’arrêter devant l’immeuble. Jian ressentit une Présence connue. Un instant après, Ali Pacha entra, un cimeterre à la main.
« Qui que vous soyez, je vous sommes de vous montrer ! » Dit-il.
Jian quitta l’angle du mur qui le cachait et descendit les dernières marches.
« Ah, c’est vous. Dit Ali Pacha.
Je suis Tsan Jian, prince du royaume de Qin, héritier du royaume du Tigre Blanc et cette lame a pour nom ’Corbeau de Nuit’. Dit-il en dégainant son ninjato.
Ravi de vous connaitre.
C’est donc toi qui possède et dirige cette maison.
Entre autres.
Je te propose un duel ; à celui qui prendra la tête de l’autre. Et ce, maintenant.
En quel honneur ?
La mort de Julie. »
Les deux Immortels se firent face et s’estimèrent un instant puis Ali se rua en avant, le cimeterre levé au dessus de sa tête. Jian para facilement cette attaque. Il repoussa Ali qui tenta une frappe de coté. Jian la vit venir et para. Ali Pacha ne cessait d’attaquer mais à chaque fois Jian avait le temps d’arrêter le coup. Ali sentit qu’il s’essoufflait. Jian le perçut lui aussi et contre-attaqua. En deux passes, il désarma Ali.
« Ton escrime est grossière. Dit Jian. Tu as perdu le combat.
Peut-être. Mais…je vais prendre ton quickening…quand même.
Comment cela ? »
À ce moment, une détonation éclata et Jian sentit une violente douleur dans le dos. Il eut un gémissement et tomba à genoux.
« Imbécile !...Tu as eu tort d’oublier Gustave. À moi ta tête. »
Ali tendit la main pour reprendre son cimeterre mais Jian, qui n’avait pas lâché son arme, ne lui en laissa pas le temps et lui transperça l’estomac. Ali Pacha tomba mort, une expression de stupéfaction sur le visage. Puis, luttant contre la douleur, Jian sortit et chercha un sol sacré. Ses pas étaient précipités, il sentait un grand froid l’envahir. Heureusement, il trouva l’église Saint Jean Baptiste de la Salle. Il y entra et seulement maintenant, se laissa aller à l’envie de mourir.

« Je suis revenu à la vie le lendemain matin. Le prêtre n’a pas posé de question et je suis parti. Je suis retourné à la maison close pour la trouver fermée par la police. Ali Pacha avait disparu ainsi que ses deux sbires. Ils n’avaient plus donné signe de vie.
Quelle drôle d’histoire, quand même. Dit Tsung.
Oui. Et il est temps d’en écrire le dernier chapitre. »

Quelque part au centre de Paris, bien des heures plus tôt. Selim frappe à la porte d’un salon ; dans un appartement cossu.
« Entre donc ; je t’attendais. » lui est-il répondu.
Selim passe donc la porte et s’incline respectueusement.
Allongé dans un tas de coussins, Ali Pacha fume du narguilé de la main droite et caresse une jeune fille nue de la gauche.
« Alors, quelles nouvelles m’apportes- tu ?
Notre traque a porté ses fruits ; nous avons retrouvé Samia et je l’ai tuée, selon vos instructions.
Parfait, un problème de moins.
Excusez-moi, mais que devons-nous faire des témoins ?
Des témoins ?! Quelqu’un t’a vu la tuer ?
Non. Mais elle avait trouvé refuge chez une de ses amies, une Cambodgienne en situation irrégulière. Elle lui a confié son bébé.
La belle affaire ! Tu l’as dit toi-même, c’est une clandestine, elle ne peut pas aller à la police. Il n’y a pas de danger.
Bien, Effendi. »
Selim se retire tandis qu’Ali Pacha éclate d’un rire gras.

Une terrasse de café, près des Champs Élysées. Étienne attend depuis près de dix minutes que son ami arrive.
« Pas étonnant, pense-t-il, je suis arrivé en avance. »
Peu de temps après, Jian arrive. Étienne se lève.
« Bonjour, Maître Qi. Comment allez-vous ?
Tant que j’ai la tête sur les épaules, nous pouvons considérer que tout va bien. Bonjour Étienne .
Vous vouliez me parler de quelque-chose d’important ? De quoi s’agit-il donc ?
Viens ; nous serons plus tranquilles dans ma voiture. »
Jian et Étienne montent dans une grande limousine conçue pour la taille exceptionnelle de Jian et garée non loin de là. La voiture se met en mouvement. Dans le secret de son véhicule, Jian peut parler librement :
« J’ai besoin de renseignements sur un proxénète. Il s’appelle Ali Pacha.
Est-ce un Immortel ?
Oui, et assez dangereux.
De quoi le soupçonnez-vous ?
D’avoir ordonné le meurtre d’avant-hier soir.
La prostituée ?
(hochement de tête de Jian)
S’il est coupable, il sera arrêté, jugé et… commence Étienne .
Tu sais très bien que pour lui, comme pour moi, le temps ne fait rien. Ali Pacha est de ces individus rustres qui ne changeront jamais. Même s’il est condamné à perpétuité, un jour ou l’autre, dans un avenir proche ou très lointain, il finira par sortir de prison ; et il recommencera ses crimes. Même s’il s’en est pris à une Mortelle, cela relève de notre justice, de nos lois à nous, les Immortels. »
Dans son for intérieur, l’inspecteur de police ne peut que donner raison à son mentor : de quoi aurait l’air l’administration pénitentiaire avec un condamné qui aurait purgé soixante ans sans changer ?
« Bien, je vous transmets ce que je peux au plus vite. »
Comme la limousine s’était garée quai des Orfèvres, les deux hommes se serrent la main et Étienne sort. D’un signe de la main Jian demande à son chauffeur de redémarrer. Puis il se laisse aller à penser ; il aimait se rappeler comment Étienne Gilles, inspecteur de police à la brigade criminelle, connaissait les Immortels.

Tout avait commencé en 1969.

À cette époque, Jian, qui portait le nom de Maître Qi Zhao, avait ouvert un dojo à Paris dont il était à la fois le propriétaire et le principal professeur. Étienne Gilles, alors âgé de huit ans, était un de ses élèves.
« Bien. Les cours sont finis pour aujourd’hui. Vous avez bien appris. »
Les enfants saluèrent leur professeur et allèrent se changer. Des parents arrivaient, venant chercher leur progéniture. Jian en connaissait bien quelques uns. Il leur fit part des progrès de ses élèves ; qui pour la plupart étaient significatifs. Les enfants revinrent et furent récupérés par leurs parents.
Peu après, Jian, qui prenait toujours un temps de méditation tout de suite après les cours, fit le tour du dojo avant de le fermer. Il trouva un gilet dans les vestiaires. Il le rangea dans son bureau puis se prépara à partir.
Au moment où il fermait la porte d’entrée, il vit plusieurs jeunes hommes l’entourer. C’était manifestement des voyous. En effet, l’un d’eux prit la parole pour dire :
« Eh, Chinetoque ! Tu pourrais pas nous dépanner de quelques centaines de balles ? Ça nous arrangerait, moi et mes potes.
Jeunes hommes, répondit Jian calmement, si vous voulez voler de l’argent facilement, vous frappez à la mauvaise porte. Rentrez chez vous, cela sera plus sage.
Qu’es-tu-dis ? T’as pas saisi la situation, on dirait. On est neuf et t’es seul. Que comptes-tu faire ?
Sachez que parfois le nombre s’avère insuffisant face à l’expérience.
On va voir ça. »
L’un des voyous sortit un couteau et voulut en porter un coup. Jian lui décocha un coup de pied. Le jeune tomba, le corps marqué à plusieurs endroits. Le combat avait commencé. Jian se défendit férocement, jetant même à terre trois adversaires d’un coup. Finissant par se retrouver seul debout, le dernier commençait à regretter ce larcin qui avait paru si facile au début. Au moment où il allait conclure le combat, Jian ressentit une douleur dans le dos : l’un des autres, moins sonné qu’il ne semblait, s’était relevé et venait de le frapper d’un coup de couteau en traître. Connaissant son corps, Jian comprenait que la plaie était assez profonde ; un rein était touché et il y avait hémorragie. Il savait qu’il en fallait bien plus pour le mettre hors de combat mais les deux jeunes s’étaient remis en confiance. Soudain, un couvercle de poubelle, venu d’on ne sait où, frappa l’un d’eux à la tempe. Craignant un renfort sérieux, ils préférèrent s’enfuir. Jian s’adossa au mur, poussant un soupir de soulagement. Étienne arriva alors.
« Comment allez-vous, Maître Qi ?
Je peux aller mieux. Prends les clés ; j’ai envie d’être à l’intérieur. »
Une fois rentrés, assis sur un banc de la salle d’exercices, Jian et Étienne se regardèrent.
« Que viens-tu faire ici ? Demanda Jian.
J’avais oublié un vêtement alors je revenais le chercher. Et j’ai vu le combat. Qu’est ce que vous êtes fort !
Est-ce toi qui as lancé ce couvercle ?
Oui. J’ai vu le coup de couteau que vous avez reçu et j’ai agi par réflexe. Voulez-vous que j’appelle une ambulance ? »
Jian se sentit piégé : le temps que le médecin arrive, la blessure serait guérie depuis un moment. Il résolut de parler de lui.
« Écoute, Étienne ; c’est inutile.
Comment ça, maître ? Vous êtes blessé !
Regardes. »
Jian se mit torse nu.
« Regardes mon dos. »
Étienne regarda et vit la blessure qui finissait de se refermer dans des petits éclairs bleus. Il dévisagea son professeur, à moitié effrayé et eut un mouvement de recul.
« Qu’est-ce-que… ?
Tu as peur de ce que je suis en fait, n’est-ce-pas ? Tu ne sais me nommer. Ne crains rien ; je suis quand même humain et je ne veux aucun mal à vous, Mortels. …En réalité, je suis issu d’une race de personnes immortelles, ne connaissant pas la mort naturelle. …Mes blessures se guérissent toutes seules et je ne vieillis pas. Je vis déjà depuis plusieurs siècles.
Vous êtes immortel ? Depuis quand ?
Si tu veux savoir depuis quand il y a des Immortels, je dirais depuis le début de l’Humanité. Personnellement je le suis depuis 1294 ; étant né en 1258.
Woah ! Vous devez en savoir des choses !
Eh oui. Écoute ; cette immortalité n’a pas que des bons cotés. Certains Immortels sont méchants et j’ai des ennemis. Alors il faut que tu gardes ces événements secrets. Jure-moi que tu ne parleras pas de ça ; à qui que ce soit ! »

Il avait juré et encore maintenant il savait garder le secret. Depuis il avait grandi, était devenu adulte et s’était engagé dans la police. Il était devenu un bon inspecteur de la Criminelle. C’est à ce titre que maintenant Jian utilisait parfois son aide.

À peine arrivé dans son bureau, Étienne prend contact avec un ami et collègue de la brigade des mœurs.
« Marc, j’aurais besoin que tu me fournisse une copie de tout ce que tu peux trouver sur le milieu turc, dans ton domaine. Un souteneur aurait commis un meurtre envers une de ses filles.
Je te livre ça demain. »

Même moment, autre endroit. Ali Pacha avait décidé de fêter la mort de Samia à sa manière. Depuis près de quarante-huit heures, il passait de longues périodes à boire de l’arak. En cette fin d’après-midi, il est nettement éméché. La jeune fille nue lui apporte une autre bouteille.
« Ah, Sahida, dit-il. Connais-tu une meilleure manière de bien vivre que de boire de l’alcool, douillettement installé dans des coussins ?
Non, Effendi, répond-elle timidement.
Et bien moi, j’en connais une : c’est d’y ajouter du sexe ! »
Et il l’attire à lui brusquement.

Ali Pacha dort. À ses côtés, Sahida reprend son souffle entre deux sanglots : une fois de plus ce gros porc n’avait pensé qu’à son plaisir et l’avait violentée. Elle en garderait certainement des bleus pendant plus d’une semaine. Sahida se dit que c’était la fois de trop. Et elle sait comment se venger.
Sahida marche dans les rues, enveloppée dans l’imperméable qui cache ses vêtements turcs. Elle est songeuse ce soir. Ce qu’elle a enduré depuis son enfance mérite cette trahison.

Un village de l’est de la Turquie, 1982.

Sahida vivait pauvrement avec ses parents et ses frères. Jusqu’au jour où cette belle voiture était arrivée. L’homme avait longuement visité le village et était finalement entré chez ses parents. Il avait demandé à parler avec eux. Il l’avait ensuite emmenée avec lui ’en voyage’. Depuis elle était l’une des esclaves de cette brute. Et à cinq ans on n’a pas conscience de ce que cela veut dire. Deux ans plus tard, il commença à vouloir qu’elle soit nue devant lui, à la caresser, à la frapper lorsqu’elle refusait. Et pour son douzième anniversaire, il l’avait pénétrée. Elle avait eu très mal mais il s’en fichait ; ce qu’il voulait, c’était éjaculer dans ce jeune sexe. Oui, tout cela méritait qu’elle le trahisse aujourd’hui.

Sahida arrive au 36. Elle s’adresse à l’accueil.
« Je voudrais parler avec un inspecteur. C’est pour une affaire de meurtre. »
Étienne Gilles est de service cette nuit. Et cette jeune fille, visiblement étrangère, vêtue d’un imperméable bien trop grand pour sa fragile silhouette, éveille son flair. Il sent qu’il peut faire un grand pas dans son enquête.
« Venez mademoiselle. Je vais prendre votre déposition. »
Et dans le secret d’un bureau comme les autres, Sahida lui raconte tout ce qu’elle sait.
« Je vois, dit Étienne lorsqu’elle eut fini. Nous allons dorénavant prendre en charge votre sécurité. Mais cela vous ennuierait-il de tout répéter devant une autre personne ? »
Ali Pacha est furieux : cela fait plus de dix heures qu’il s’est aperçu que son esclave a disparue ; et elle n’est toujours pas rentrée. Selim et ses hommes fouillent la ville. En vain pour le moment.

14 mai, 11 heures du matin.

Jian est en discussion avec Sahida. De plus les documents fournis par la brigade des mœurs lui permettent de savoir à peu près le parcours de son adversaire ces dernières décennies : apparu en 1960 à Istanbul, Ali Pacha était déjà très riche puisqu’il acheta le palais Adda, un hôtel particulier parmi les plus beaux et donc les plus chers. De là, il dirigea un important réseau d’exportation de prostituées et de main d’œuvre illégale vers toute l’Europe et la Russie ; jusqu’au jour où les percepteurs des impôts s’intéressèrent de près à l’étendue de ses revenus. Au début des années 80, il réunit ses fonds liquides, mit à l’abri le reste et quitta le pays en pleine nuit. Après un an à Monaco, il s’installa à Paris d’où il contrôle ses réseaux aujourd’hui encore.
Et le récit de Sahida lui fournit ce qui lui manquait encore, dont l’adresse où le trouver.
Mais deux des hommes d’Ali les ont repérés.
« Effendi, nous avons trouvé Sahida.
Où est-elle ? Que fait-elle ?
Elle est dans une des caches de la police. Elle parle avec un grand Chinois.
TUEZ-LA !!! »
Ali Pacha avait hurlé. De rage. Il se tourne, furieux, vers Selim.
« Elle me trahit. Après tout ce que j’ai fait pour elle ! »
Selim n’ose pas répondre. Depuis plus de vingt ans qu’il est son second, il sait ce que son patron a fait et ce qu’il peut faire. Mais brusquement c’est l’inquiétude qui se lit sur le visage d’Ali.
« Il a dit un grand Chinois ? J’en connais un. Comment est-il au courant ?
Voulez-vous que je me renseigne ? Demanda Selim.
Oui. Je crains le pire si c’est…Lui ! »

Sahida a fini ses révélations. Jian est soucieux.
« Maintenant que vous avez parlé, Ali Pacha va vouloir vous éliminer. Je crois qu’il faut que je vous cache, dit-il.
Pourquoi ? La police me protège déjà. »
A cet instant, ils sont en train de sortir de la maison où a eu lieu leur entretien. Un policier est à coté d’eux. Lorsque brusquement, une voiture arrive à leur hauteur ; deux coups de feu claquent. Sahida, touchée dans le dos, s’effondre. La voiture accélère mais le policier dégaine son pistolet et tire trois coups. Deux balles finissent dans la carrosserie mais la troisième atteint un pneu qui éclate. Le véhicule termine sa trajectoire dans une camionnette. Les pompiers retireront un mort et un blessé grave de la voiture. Sahida est emmenée à l’hôpital dans le coma.

XIIIe arrondissement de Paris, 18 mai.

Jian marche dans les rues du quartier chinois. Le soir tombe. Jian réfléchit ; la vie de Sahida n’est plus en danger. Les médecins ont pu dire qu’elle allait bientôt sortir du coma. Et surtout, Ali Pacha doit la croire morte depuis que les journaux l’ont dit le lendemain du drame. Mais les docteurs ont aussi ajouté qu’elle resterait paraplégique. Cependant c’est un autre problème qui intéresse l’Immortel ce soir. Il a l’impression d’être surveillé depuis peu.
Et effectivement, à la faveur d’un changement de direction, il repère un Turc qui le suit. Jian adresse un signe discret à un cireur de chaussures. Celui-ci le comprend : lorsque le Turc passe devant son étal, le cireur se lève et l’assomme.
Le Turc se réveille dans une petite pièce sombre. Peu après, une porte s’ouvre et deux Chinois viennent le chercher. Ils le conduisent à travers un dédale de couloirs et de pièces jusqu’à une salle sans fenêtre où se trouve Jian. Celui-ci est assis sur un grand siège de bataille japonais. Tout de suite, le Turc s’emporte :
« Que signifie cet enlèvement ? Où suis-je ?
Silence ! Répond Jian. Ici, c’est moi qui interroge. Encore que cela ne soit pas nécessaire ; je sais déjà presque tout. Tu te nommes Ahvet Galaglü et tu dois être un homme de main d’Ali Pacha, n’est-ce-pas ? Il t’a chargé de me suivre ?
Oui, il veut savoir où vous trouver.
(Un petit silence)
Écoute-moi, Ahvet. Reprend Jian. Tu vas transmettre un message de ma part à ton patron. Dis-lui que je suis prêt à l’affronter. Je lui donne rendez-vous le 21 à 22 heures, square Le Gall.
Je ne vois pas pourquoi je ferais ça. Je n’ai aucune raison de vous obéir, réplique Ahvet.
Je vais te donner une bonne raison, répond Jian. Une très bonne raison. »
Il se lève et s’approche de son prisonnier. Puis il lui applique un coup de paume sur la poitrine.
« Et alors ? » Dit Ahvet.
Soudainement il ressent quelque chose se déchirer en lui ; une violente douleur le saisit et il s’effondre au sol. Il roule sur lui-même en criant sous l’effet de cette souffrance qui s’intensifie. Puis un flot de bile lui vient aux lèvres et il ne peut l’arrêter. Vomissant, Ahvet n’a pas la force de demander grâce. Heureusement la douleur se calme. Ahvet lève un regard effrayé vers Jian.
« Le Kôshya-Kidô-Ken, dit l’Immortel, le regard dans le vague. Avant, j’étais effrayé de connaitre son existence. Maintenant, je suis amené à l’utiliser. Mon âme s’assombrit peut-être. (S’adressant aux Chinois présents) Emmenez-le dehors. Il peut partir. »

19 mai, 05 h 40 du matin. Chez Ali Pacha.

« QU’EST-CE-QUE C’EST QUE CE RAPPORT DE M*** ? »
Cette voix furieuse est celle d’Ali Pacha auquel Ahvet a raconté ses résultats. Ali est en robe de chambre et Selim, qui se tient derrière lui, sait à quel point son patron a horreur d’être réveillé pour apprendre un échec pareil.
« Je te charge de le suivre pour découvrir sa planque et tu te fais cueillir comme un bleu. Et tu oses revenir en me disant qu’il me donne rendez-vous ? Sais-tu que j’ai envie de te tuer à coups de poings ? LE SAIS-TU ?
Vous pouvez le faire, Effendi. Je préfèrerai cela à ce qu’il m’a fait. »
Stupéfait, Ali ne porte pas le coup qu’il commençait.
Peu après, seul avec Selim, il réfléchit aux événements.
« Je connais la réputation de Tsan Jian. Voilà ce que nous allons faire pour le rendez-vous. »

21 mai, 21 h 50 ; square Le Gall.

Jian attend l’arrivée de son adversaire. Il est en position zazen**, ouvrant son esprit à l’environnement. Le vent dans les arbres, la marche d’une colonne de fourmis, le pas encore lointain d’un homme qui arrive ; tiens, ce n’est ni un gardien du square, ni Ali Pacha (il n’y a pas la Présence) ! Jian prend son ninjato et se relève calmement. Il voit venir un homme élégant, dans le début de la cinquantaine, qui s’arrête à quelques mètres, hésitant.
« Etes-vous bien Tsan Jian ? Demande l’inconnu.
Oui. Et à qui ais-je l’honneur ? Répond Jian.
Mon nom est Selim Gürsel, et j’ai ordre de vous tuer. »
Sur ce, Selim sort une épée de sous son manteau.
« Je te propose quelque-chose, Selim, dit Jian. Bien que tu sois au service d’Ali Pacha, je n’ai pas de raison de te tuer. Alors je vais me battre sans mon arme.
Oh ! Voilà qui est très généreux. »
Selim s’avance lentement, l’épée levée. Jian, après avoir déposé son arme sur un banc, lui fait face sans bouger. Les deux adversaires se jugent. Puis Selim attaque. Un bond en avant suivi d’un coup de taille. Jian doit reculer pour esquiver. Plusieurs autres attaques suivent. Jian se contente de les éviter, s’amusant à faire des sauts de singe pour cela, tout en estimant l’escrime de son opposant. Et force est de constater que Selim sait manier son arme de façon efficace ; chaque coup étant plus rapide et puissant que le précédent, les esquives sont de plus en plus difficiles. Aussi Jian décide de changer de tactique. Profitant qu’une frappe d’estoc de Selim, qu’il a évité par un saut sur le coté, est à bout de course, il attaque à son tour. Venir au contact, l’empêcher de manier aisément son arme ; en trois secondes le combat se finit : de la main gauche, Jian attrape le poignet droit de Selim, de la main droite il le saisit par le col. Effectuant une demi-rotation sur lui-même, il fait passer le Turc par-dessus son épaule. Selim s’assomme en retombant au sol.
« Voilà une chose réglée. Pense Jian. Lui, je le livre à la police. »
Alors qu’il se penche pour le relever, Jian remarque quelque-chose au poignet droit de Selim.
« Tiens donc ! Je me demande si Ali est au courant de ’ça’. »
En effet, ce que Jian a vu au poignet est un tatouage. Un tatouage qu’il connait pour l’avoir déjà vu : le symbole des Guetteurs !

22 mai, 03 h 30 du matin.

Dans ses appartements, Ali Pacha tourne comme un lion en cage ; cela fait plusieurs heures que son âme damnée aurait dû rentrer. Mais non ! Selim n’est toujours pas là. Et Ali, qui ne s’est pas encore couché, s’énerve.
« Mais que fait-il, cet abruti ? » Se demande-t-il.

04 h 25.

Alors qu’il commence seulement à envisager le pire, Ali ressent la Présence d’un Immortel de grande puissance. Celui-ci monte vers son étage.
« Lui ! Ça ne peut être que lui ! » Se dit-il. Et il sent la panique le saisir. Prenant son cimeterre de son râtelier, il décide de fuir par l’escalier de secours. Il le descend aussi vite qu’il peut. Dans la rue, il s’accorde un instant de répit. Brusquement la Présence se fait sentir. Proche ; si proche qu’Ali n’a pas le temps de s’enfuir.
« Je crois que cette fois, l’heure de notre dernier affrontement est venue. » Dit la voix froide de Jian.
Les deux Immortels se mettent en garde. Jian arbore une expression calme et déterminée tandis qu’Ali hésite sur la conduite à tenir. Il est en sueurs, ses pensées courent en tout sens dans sa tête. Le Turc ne réalise pas qu’il a déjà perdu le combat, qu’il va mourir là, dans cette rue. Tsan Jian le domine de toute son aura de guerrier. Ali Pacha ne veut pas perdre de temps ; pour lui il FAUT qu’il décapite son ennemi au plus vite ; alors il attaque, son arme levée. Lorsqu’il frappe, sa lame ne rencontre que le vide. Il n’a pas le temps de réaliser cet échec. Jian abat sa propre lame. Elle fauche la tête d’Ali. Celle-ci va rouler dans un caniveau, le corps s’effondre lourdement au sol.
« Vraiment, tu étais un adversaire médiocre, Ali. »
Puis le Quickening vient. L’enseigne d’une épicerie proche éclate ; le moteur et les vitres de plusieurs voitures explosent et des lampadaires grillent. Jian absorbe l’énergie du vaincu. Puis c’est le silence. Épuisé, Jian s’appuie contre un mur. Les forces lui revenant, il essuie son ninjato et s’apprête à partir. Regardant une dernière fois le corps du vingt-quatrième Immortel qu’il ait décapité, il dit :
« Voilà toutes tes victimes vengées. Puissent celles encore vivantes t’oublier. »
Rangeant ’Corbeau de Nuit’ dans son fourreau, Tsan Jian rentre chez lui.

22 mai, 16 h 40 ; à l’hôpital Saint Antoine.

« Ali Pacha est mort, Selim Gürsel en garde à vue et la police démantèle leur réseau. »
Jian est au chevet de Sahida, sortie du coma la veille. Celle-ci est évidemment soulagée d’apprendre la fin de son tortionnaire.
« Et que vont devenir les autres innocents de cette histoire ; Vany, le bébé de Samia ? Demande-t-elle.
« Vany a déjà entamé une procédure de régularisation avec mon aide. Quand au bébé, Étienne s’en occupe. Je crois qu’il va demander à l’adopter lui-même. Sa femme ne pouvant pas en avoir, cet enfant est pour eux un bonheur bien mérité. Mais, et toi ? Que comptes-tu faire après l’hôpital ?
J’y ai pensé. J’ai envie de rentrer chez moi et de lutter contre l’esclavagisme moderne. Je sais de quoi je parle et je n’ai pas envie que d’autres petites filles soient vendues à de tels hommes.
Je te comprends. Ali Pacha n’avait aucun respect pour la vie des autres. Et ils sont encore nombreux à être comme lui. Ton combat ne fait que commencer et le mien est loin d’être fini. »